Créé à l’Opéra du Caire en 1871 pour célébrer l’ouverture du Canal de Suez, Aida nous plonge dans le fantasme d’une Antiquité reconstituée. Au cœur de l’intrigue, un choix impossible entre l’amour et le devoir patriotique : une princesse éthiopienne captive et un militaire égyptien trahissent leur peuple et défient une puissante rivale, s’unissant jusqu’à la mort. Marquée par le contraste entre un spectacle démesuré et la transition vers une dramaturgie de l’intimité, la partition de Verdi réussit à distinguer le drame intérieur de ses protagonistes de l’imposant cadre historique. L’œuvre réunit les thématiques chères au compositeur : la nostalgie de la patrie perdue, la délivrance par la mort, l’opposition entre un présent décevant et un ailleurs idéalisé, le poids des pouvoirs religieux et politiques, éléments régulateurs d’un monde conçu comme un piège. La metteure en scène hollandaise Lotte de Beer, pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, choisit de porter un regard critique sur la représentation européenne des peuples colonisés, nous incitant à repenser notre rapport aux productions esthétiques du passé et du présent.
Je veux un trésor, qui les contient tous ! Je veux la jeunesse ! Frustré par la quête futile du savoir, le vieux savant Faust vend son âme au diable en échange de la jeunesse éternelle et de la belle Marguerite… Gounod retravaille le mythe popularisé par Goethe pour s’attacher à l’histoire d’amour et magnifie la chute et le salut final de Marguerite. Son choix d’alléger la portée philosophique du récit lui permet de trouver un équilibre entre les scènes où le surnaturel fait appel au grand spectacle et un univers réglé par l’intériorité de l’action et des sentiments. La partition de Gounod est un tour de force d’invention mélodique, révélant dans l’écriture vocale l’art du compositeur à transmettre une émotion sincère et immédiate. Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, le metteur en scène allemand Tobias Kratzer livre une réflexion sur l’obsession pour la jeunesse éternelle de la société contemporaine. Grâce à un dispositif scénique élaboré, sa mise en scène oscille entre hyperréalisme et magie, entre le monde d’aujourd’hui et l’atmosphère mystérieuse du romantisme allemand.
Dans cette pièce conçue pour le Ballet de l’Opéra en 1994, le chorégraphe Angelin Preljocaj réussit un subtil équilibre entre souffle classique, porté par la musique de Mozart, et modernité de son langage chorégraphique. Les décors ciselés évoquent l’élégance et la délicatesse des jardins « à la française » et les costumes s’inspirent de ceux du siècle des Lumières. Évoluant au gré d’une carte imaginaire du Tendre, guidés par d’étranges jardiniers, les danseurs s’éveillent à l’amour, de la rencontre aux jeux de séduction, de la timidité à l’attirance, de la résistance à la douceur de l’abandon dans l’envol d’un sublime pas de deux. Aujourd’hui encore, cette œuvre intemporelle interroge le cheminement des sentiments et explore les codes amoureux.
Première pièce de Roland Petit créée pour le Ballet de l’Opéra de Paris en 1965, Notre-Dame de Paris réunit tous les ingrédients du grand spectacle. Le ballet s’inspire du chef-d’œuvre de Victor Hugo, avec ses personnages hauts en couleur : la belle Esmeralda, l’attachant Quasimodo, le machiavélique Frollo et le cynique Phoebus. Yves Saint Laurent signe des costumes colorés et graphiques dans les décors du peintre René Allio qui restituent la splendeur de la cathédrale parisienne. La chorégraphie traduit toute la force expressive de ces personnages confrontés à une histoire d’amour et de mort, entourés de l’ensemble du Corps de Ballet. À l’occasion du dixième anniversaire de la disparition du chorégraphe, la Compagnie redonne vie à cette magnifique fresque dansante, sur la scène de l’Opéra Bastille.
« Deux obsessions ne peuvent pas exister dans le même esprit, comme deux corps dans le même espace », écrit Pouchkine dans sa nouvelle La Dame de pique en 1834. Le jeune Hermann, avide d’ascension sociale, sacrifie son amour pour Lisa, obsédé par une formule magique détenue par une vieille Comtesse qui lui permettrait de gagner aux cartes. Ayant causé sa mort, il périra, trompé par le fantôme de sa victime. L’opéra qu’en fit Tchaikovski en 1890 dresse un portrait amer de la génération des dernières années de la Russie tsariste, dissimulé sous les traits d’une représentation animée du règne de Catherine II. Les rues, les rives et les bals de Saint-Pétersbourg émergent d’une partition qui cherche délibérément à restituer les formes musicales du XVIIIe siècle, ne sacrifiant pourtant rien à ce lyrisme fervent qui distingue l’écriture de Tchaïkovski. Pour sa nouvelle collaboration avec l’institution, le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov poursuit l’exploration du grand répertoire de son pays natal, avec l’un des chefs-d’œuvre lyriques du plus européen des compositeurs russes.